avril 28, 2280

White.

J'ai la nausée.
La bonne nouvelle, c'est que je sens mon ventre aussi maintenant. Et puis un peu le reste. 
En fait, je sens surtout la douleur parcourir l'ensemble de mon corps. Elle se promène en moi comme une dose de buffout dans les veines d'un Tox. En moins agréable bien sûr.
Ceci dit, je plane. J'entends toujours des sons, et parfois je crois percevoir une ombre lumineuse passer devant mes paupières résolument closes.
Je me demande vraiment si je suis pas mort. 
C'est peut-être comme ça au fond, quand on crève. Peut-être qu'on reste coincé dans ce tas de chair aboyant de souffrance, et que l'esprit reste ancré aux vestiges de sensations qu'il transmet.
Peut-être qu'après, quand la nécrose arrive et que le corps ne véhicule ni sensation, ni douleur, ça devient comme un silence absolu. Sans fin.
Se faire chier pour l'éternité. Merde, vraiment j'espère pas. Je préfère encore avoir mal.
Je me sens couler pour la énième fois. Au fond de moi.
Je prend une grande inspiration et m'apprête à l'apnée. Enfin non, mais c'est tout comme.

Lenny cours devant moi, j'arrête pas de rire, mais je suis terrifié. A chaque couloir, on s'immobilise, il me plaque contre le mur, écrasant sa main sur ma bouche. Il est énervé Lenny, parce que je rigole et que je peux pas m'en empêcher. C'est nerveux j'y peux rien. J'ai les larmes qui coulent presque, tellement je suis agité de contradictions.
Si on se fait chopper, on va prendre une raclée lui et moi.
J'aime bien Lenny, c'est un dur. Je l'admire beaucoup. Une fois il a cassé la gueule à un garçon parce qu'il avait piqué mon dessert et m'avait collé une taloche sur le haut du crâne.
Depuis ce jour où il m'avait défendu, on était devenus amis. Il avait 2 ans de plus que moi, et à la fin de l'année il allait avoir son pipboy, en vrai. Je l'enviais. Je l'admirais.
 Ça m'arrivait souvent de prendre des coups. Je disais rien, parce que j'étais petit et pas courageux. J'avais peur d'avoir mal, alors je me laissais faire. Et souvent j'avais mal.
Je sais pas pourquoi il m'avait pris sous son aile, mais je lui en était reconnaissant. Je crois qu'il me prenait un peu pour son petit frère. Il m'aimait bien. Et on m'emmerdait plus, du coup.

Donc ce soir là, on galope silencieusement (ou presque) dans les couloirs. Et lui il panique un peu parce que je me contrôle pas. Je sais même pas où il m'emmène à vrai dire, mais je m'en moque, c'était génial. On était tous les deux surexcité par l'adrénaline d'enfreindre les règles.
Il me guidait dans les zones interdites. Je sais pas comment il a trouvé le badge d'accès. En tout cas, il voulait à tout prix me montrer quelque chose. 
On continue de se faufiler dans le dédale de couloirs mal éclairés. Je rigole plus désormais, parce que la nervosité à fait place à l'anxiété. Les murs d'un gris terne et décrépi sont écrasants. Je jette souvent un oeil au-dessus de moi, comme si ils allaient s'abattre sur nous d'un coup. Je tremble légèrement.
Leonard ne remarque rien, il est tout entier à sa mission. On dirait un soldat. Je le suis aveuglément, car je ne suis plus capable d'aucune initiative. Le moindre mouvement que je fais n'est que pour le coller au plus près. C'est ma bouée. Si il s'échappe, je me noie, c'est sûr. Me noyer de frayeur.

Il soulève une grille qui mène sous le sol. Aucune lumière là-dessous. Les ténèbres. Je grelotte et j'ouvre de grands yeux stupéfaits. Pas moyen que j'entre là-dedans.
_ Magne-toi on va se finir par se faire prendre.
_ Je peux pas ! T'es fou !
_ Putain, Jake, entre je te dis !
Il me choppe par la manche et me précipite à sa suite, puis referme la grille sur nous. 
_ T'en fais pas, je suis déjà venu. Et puis je veille sur toi.
J'ai aucune idée de combien de temps ça nous a prit de ramper comme ça dans ces conduits. Ça m'a semblé une éternité. La lampe qu'avait emporté Lenny jetait des ombres menaçantes tout autour de nous. J'avais froid et je claquais légèrement des dents. En revanche mes mains était moites, si bien qu'elles glissaient sur la paroi de métal. Mes pieds était plus efficaces pour me faire avancer, ça ne fait aucun doute.
On a fini par déboucher sur une échelle en fer rouillé qui grimpait. Alors on a grimpé.
Et on est arrivé dehors.
C'était ma première fois. 
_ Alors c'est cool hein ?
Lenny me regardait avec un sourire satisfait qui lui remontait jusqu'aux oreilles.
J'étais partagé entre la fascination et la trouille. 
On était pas sensés sortir. On savait que les radiations en surface pouvaient être mortelles. Ça, on nous l'enseignait dès les premières années, à l'école. Et puis on disait aussi qu'il y avait des créatures féroces qui se baladaient dehors. Des monstres abominables, qui mangeaient les enfants. Merde, j'avais les pétoches !

Auprès du puits d'où on venait d'émerger se trouvaient quelques caisses et barils en métal. Un fusil à lunettes était posé contre l'un deux. Lenny s'en saisit, ravi.
_ Wah, c'est génial, un vrai fusil !
J'avais plus peur. La vue de l'arme m'excitait autant que lui maintenant.
_ Tu crois qu'il est chargé ?
_ Essayons.
Lenny épaula la carabine et devint tout sérieux. Il visait un point au loin.
Clic. Clic.
_ Merde il est vide. 
_ Merde.
_ Attend, ya peut-être des munitions dans ces boîtes.
_ Ouais peut-être, Lenny.
Elles étaient toutes fermées. On arrivait pas à ouvrir le couvercle. 
Le temps passait et je me demandais si notre absence n'allait pas finalement être découverte. Si notre escapade venait à être su, on prendrait très cher, c'était sûr. Lenny sortit un vieux canif usé jusqu'à la moelle de sa poche et déplia la lame. 
_ Aide-moi, faut qu'on ouvre ce machin.
_ On devrait peut-être rentrer, ça fait un bout qu'on est partis maintenant
_ Aller, un peu de couilles quoi. C'est quand même génial d'être ici. On est peut-être les seuls à être sortis de l'abri depuis des dizaines d'années, tu te rends compte ? Et puis j'ai envie de tirer avec ça moi.
Leonard pointa du menton le fusil déchargé.
_ Ouais mais...
_ T'es chiant, aide moi à faire levier avec ce truc.
On a appuyés tout ce qu'on pouvait sur le petit manche du canif, avec nos quatre mains, la lame glissée dans la fente du couvercle d'un gros bidon. Ça marchait pas.
_ Attend, je me met de l'autre côté, je tire vers moi, et toi tu pousses.
_ Ouais mais...
_ Ta gueule, fais ce que je te dis Jakob.
J'ai poussé, il a tiré.
Le couvercle à sauté d'un coup, et Lenny se l'est prit dans la gueule et tomba le cul par terre. Moi, je fût complètement aspergé d'un liquide poisseux et qui sentait très, très fort. Tout blanc. 
J'en avais plein la tronche. J'en avais dans les yeux aussi. Ça piquait.
J'ai ouvert la bouche, pour extirper un "beuhaaa..." écœuré, mais c'est un cri que j'ai poussé. 
Soudain.
Ça me brûlait les yeux terriblement tout à coup. Oh oui, putain ça brûlait. Je fermais de toute mes forces les paupières et me frottait frénétiquement le visage de mes poings.
 
Je hurlais de plus belle. Tout était blanc. J'étais sûrement aveugle. C'était peut-être de l'acide.
Lenny hurlait aussi maintenant. De peur. Je lui foutais les boules à gueuler comme ça.
Il est parti dans le puits en criant "A L'AIDE" désespérément.
Moi je bougeait plus. J'étais plus qu'une bombe de douleur. Sans couleur.
Tout était blanc.
Blanc.





Je me redresse et reprend ma respiration, comme si j'étais en apnée. J'émerge enfin de mes songes, de mes cauchemars, de la mort. J'ouvre les yeux. Mes yeux blancs.
Je suis vivant.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

On veut la suite!!! :)
Tout bonnement génial ton récit!