avril 28, 2280

White.

J'ai la nausée.
La bonne nouvelle, c'est que je sens mon ventre aussi maintenant. Et puis un peu le reste. 
En fait, je sens surtout la douleur parcourir l'ensemble de mon corps. Elle se promène en moi comme une dose de buffout dans les veines d'un Tox. En moins agréable bien sûr.
Ceci dit, je plane. J'entends toujours des sons, et parfois je crois percevoir une ombre lumineuse passer devant mes paupières résolument closes.
Je me demande vraiment si je suis pas mort. 
C'est peut-être comme ça au fond, quand on crève. Peut-être qu'on reste coincé dans ce tas de chair aboyant de souffrance, et que l'esprit reste ancré aux vestiges de sensations qu'il transmet.
Peut-être qu'après, quand la nécrose arrive et que le corps ne véhicule ni sensation, ni douleur, ça devient comme un silence absolu. Sans fin.
Se faire chier pour l'éternité. Merde, vraiment j'espère pas. Je préfère encore avoir mal.
Je me sens couler pour la énième fois. Au fond de moi.
Je prend une grande inspiration et m'apprête à l'apnée. Enfin non, mais c'est tout comme.

Lenny cours devant moi, j'arrête pas de rire, mais je suis terrifié. A chaque couloir, on s'immobilise, il me plaque contre le mur, écrasant sa main sur ma bouche. Il est énervé Lenny, parce que je rigole et que je peux pas m'en empêcher. C'est nerveux j'y peux rien. J'ai les larmes qui coulent presque, tellement je suis agité de contradictions.
Si on se fait chopper, on va prendre une raclée lui et moi.
J'aime bien Lenny, c'est un dur. Je l'admire beaucoup. Une fois il a cassé la gueule à un garçon parce qu'il avait piqué mon dessert et m'avait collé une taloche sur le haut du crâne.
Depuis ce jour où il m'avait défendu, on était devenus amis. Il avait 2 ans de plus que moi, et à la fin de l'année il allait avoir son pipboy, en vrai. Je l'enviais. Je l'admirais.
 Ça m'arrivait souvent de prendre des coups. Je disais rien, parce que j'étais petit et pas courageux. J'avais peur d'avoir mal, alors je me laissais faire. Et souvent j'avais mal.
Je sais pas pourquoi il m'avait pris sous son aile, mais je lui en était reconnaissant. Je crois qu'il me prenait un peu pour son petit frère. Il m'aimait bien. Et on m'emmerdait plus, du coup.

Donc ce soir là, on galope silencieusement (ou presque) dans les couloirs. Et lui il panique un peu parce que je me contrôle pas. Je sais même pas où il m'emmène à vrai dire, mais je m'en moque, c'était génial. On était tous les deux surexcité par l'adrénaline d'enfreindre les règles.
Il me guidait dans les zones interdites. Je sais pas comment il a trouvé le badge d'accès. En tout cas, il voulait à tout prix me montrer quelque chose. 
On continue de se faufiler dans le dédale de couloirs mal éclairés. Je rigole plus désormais, parce que la nervosité à fait place à l'anxiété. Les murs d'un gris terne et décrépi sont écrasants. Je jette souvent un oeil au-dessus de moi, comme si ils allaient s'abattre sur nous d'un coup. Je tremble légèrement.
Leonard ne remarque rien, il est tout entier à sa mission. On dirait un soldat. Je le suis aveuglément, car je ne suis plus capable d'aucune initiative. Le moindre mouvement que je fais n'est que pour le coller au plus près. C'est ma bouée. Si il s'échappe, je me noie, c'est sûr. Me noyer de frayeur.

Il soulève une grille qui mène sous le sol. Aucune lumière là-dessous. Les ténèbres. Je grelotte et j'ouvre de grands yeux stupéfaits. Pas moyen que j'entre là-dedans.
_ Magne-toi on va se finir par se faire prendre.
_ Je peux pas ! T'es fou !
_ Putain, Jake, entre je te dis !
Il me choppe par la manche et me précipite à sa suite, puis referme la grille sur nous. 
_ T'en fais pas, je suis déjà venu. Et puis je veille sur toi.
J'ai aucune idée de combien de temps ça nous a prit de ramper comme ça dans ces conduits. Ça m'a semblé une éternité. La lampe qu'avait emporté Lenny jetait des ombres menaçantes tout autour de nous. J'avais froid et je claquais légèrement des dents. En revanche mes mains était moites, si bien qu'elles glissaient sur la paroi de métal. Mes pieds était plus efficaces pour me faire avancer, ça ne fait aucun doute.
On a fini par déboucher sur une échelle en fer rouillé qui grimpait. Alors on a grimpé.
Et on est arrivé dehors.
C'était ma première fois. 
_ Alors c'est cool hein ?
Lenny me regardait avec un sourire satisfait qui lui remontait jusqu'aux oreilles.
J'étais partagé entre la fascination et la trouille. 
On était pas sensés sortir. On savait que les radiations en surface pouvaient être mortelles. Ça, on nous l'enseignait dès les premières années, à l'école. Et puis on disait aussi qu'il y avait des créatures féroces qui se baladaient dehors. Des monstres abominables, qui mangeaient les enfants. Merde, j'avais les pétoches !

Auprès du puits d'où on venait d'émerger se trouvaient quelques caisses et barils en métal. Un fusil à lunettes était posé contre l'un deux. Lenny s'en saisit, ravi.
_ Wah, c'est génial, un vrai fusil !
J'avais plus peur. La vue de l'arme m'excitait autant que lui maintenant.
_ Tu crois qu'il est chargé ?
_ Essayons.
Lenny épaula la carabine et devint tout sérieux. Il visait un point au loin.
Clic. Clic.
_ Merde il est vide. 
_ Merde.
_ Attend, ya peut-être des munitions dans ces boîtes.
_ Ouais peut-être, Lenny.
Elles étaient toutes fermées. On arrivait pas à ouvrir le couvercle. 
Le temps passait et je me demandais si notre absence n'allait pas finalement être découverte. Si notre escapade venait à être su, on prendrait très cher, c'était sûr. Lenny sortit un vieux canif usé jusqu'à la moelle de sa poche et déplia la lame. 
_ Aide-moi, faut qu'on ouvre ce machin.
_ On devrait peut-être rentrer, ça fait un bout qu'on est partis maintenant
_ Aller, un peu de couilles quoi. C'est quand même génial d'être ici. On est peut-être les seuls à être sortis de l'abri depuis des dizaines d'années, tu te rends compte ? Et puis j'ai envie de tirer avec ça moi.
Leonard pointa du menton le fusil déchargé.
_ Ouais mais...
_ T'es chiant, aide moi à faire levier avec ce truc.
On a appuyés tout ce qu'on pouvait sur le petit manche du canif, avec nos quatre mains, la lame glissée dans la fente du couvercle d'un gros bidon. Ça marchait pas.
_ Attend, je me met de l'autre côté, je tire vers moi, et toi tu pousses.
_ Ouais mais...
_ Ta gueule, fais ce que je te dis Jakob.
J'ai poussé, il a tiré.
Le couvercle à sauté d'un coup, et Lenny se l'est prit dans la gueule et tomba le cul par terre. Moi, je fût complètement aspergé d'un liquide poisseux et qui sentait très, très fort. Tout blanc. 
J'en avais plein la tronche. J'en avais dans les yeux aussi. Ça piquait.
J'ai ouvert la bouche, pour extirper un "beuhaaa..." écœuré, mais c'est un cri que j'ai poussé. 
Soudain.
Ça me brûlait les yeux terriblement tout à coup. Oh oui, putain ça brûlait. Je fermais de toute mes forces les paupières et me frottait frénétiquement le visage de mes poings.
 
Je hurlais de plus belle. Tout était blanc. J'étais sûrement aveugle. C'était peut-être de l'acide.
Lenny hurlait aussi maintenant. De peur. Je lui foutais les boules à gueuler comme ça.
Il est parti dans le puits en criant "A L'AIDE" désespérément.
Moi je bougeait plus. J'étais plus qu'une bombe de douleur. Sans couleur.
Tout était blanc.
Blanc.





Je me redresse et reprend ma respiration, comme si j'étais en apnée. J'émerge enfin de mes songes, de mes cauchemars, de la mort. J'ouvre les yeux. Mes yeux blancs.
Je suis vivant.

avril 27, 2280

Noir

Je n'ai plus de Pipboy depuis belle lurette. Ce gadget encombrant est pourtant bien pratique. Au-delà de toutes les données topographiques, météorologiques, les taux de radiations ambiantes et même la loupiote qu'il fournit, ce truc permet aussi de vérifier en temps réel toutes les variables de santé de son possesseur.
Une petite tachycardie passagère ? Pas de problème, le Pipboy vous prévient qu'il est temps de vous injecter un calmant par intraveineuse. Vous venez de vous faire exploser le genou par un coup de fusil à pompe ?
Le Pipboy se charge de vous faire un rapport exhaustif de l'hémorragie provoquée, ainsi qu'un calcul très précis des chances de pouvoir courir un jour. Le temps de convalescence nécessaire, les produits médicaux à se procurer d'urgence et j'en passe. Il parait même que certains modèles très évolués intègrent des routines de premiers secours, capables d'injecter des doses de stimpack à son hôte, lorsque ses constantes vitales tombent sous un seuil alarmant.

Non, vraiment c'est très pratique un Pipboy. Le truc c'est qu'on ne m'a jamais donné le mien.
Normalement, un habitant d'un abri reçoit le sien pour son dixième anniversaire. C'est une sorte d'évènement unique et particulièrement important qui jalonne la vie d'un réfugié. Un peu comme si on te disait : "Voilà gamin. Maintenant que t'as ce gros bracelet technologique, tu peux te considérer comme un homme. Mieux, un citoyen."
Ouais. Bein non.

Je sens qu'un truc cloche. En fait je ne sens que ma tête. Et nom de dieu, qu'est-ce qu'elle me lance. La douleur me donne l'impression d'avoir la nuque frappée à répétition contre le bord d'un rail de métro. Et parfois, ya un wagon qui me roule sur la gueule. A chaque fois que ça se produit, j'ai la sensation d'exploser en mille morceaux.
J'entends de la musique. Des voix.
Des chuchotements. Ou autre chose peut-être... Je peux pas vraiment dire. Je suis pas conscient de tout ça.
D'ailleurs je suis pas conscient du tout. Et puis la douleur ne m'autorise pas à comprendre autre chose que ce simple fait : J'ai mal, putain !
Je suis sûrement en train de crever.
Je divague souvent.

D'ailleurs j'entends encore ma mère se faire baiser sur le lit conjugal, et je ferme les yeux. Je le sais parce que quand je ferme fort les yeux comme ça, tout devient rouge.
Mais là, c'est tout noir.
C'est autre chose.

Mes poings sont des amas de douleur. Le sang séché forme une gangue sur la peau qui se craquelle, et qui rouvre les plaies régulièrement, tirant dessus. Je frappe chaque jour comme un dément sur cette porte en métal. Je crie aussi.
Et ça résonne comme dans un trou très profond. Je suis aveugle.
Juste le noir le plus complet.
On ne m'ouvre jamais. Mes jambes et mes pieds sont couverts de morsures minuscules. Des rats, où des trucs comme ça. Je me venge.
Je les attrape, leur tord le cou, puis j'arrache la peau et les poils tant bien que mal. Après je les dévore comme ça. C'est pas très bon, mais c'est pas vraiment mauvais non plus. Les premières fois j'ai dû vomir. J'avais pas pris soin d'enlever consciencieusement tous les poils. Ça m'avait presque étouffé. Et l'odeur était infernale.
Je refusais de crever en fait.
Sous aucun prétexte je voulais rejoindre mes parents, là où ils étaient. Je devais sortir de là, coûte que coûte. Le monde douillet et conventionné que j'avais connu toute mon enfance s'était transformé en cauchemar. Je n'étais plus qu'un paria qu'on avait oublié au fond d'une cellule. Je n'avais plus que haine pour tous ces gens qui se donnaient des airs bien sous tout rapport. Si la vertu qu'ils prônaient ressemblait vraiment à ça, alors je préférais encore bouffer mes rats.

Putain mais OUVREZ-MOI !
Marteler le métal indifférent et froid de mon désespoir.
Écraser mes petits poings d'enfant dessus, et faire gicler le sang, comme s'il pouvait faire fléchir la porte.
Crier encore, de ma voix fluette et brisée, mais qui révèle un ventre grondant.
Et regarder de mes yeux blancs ce noir.
Face à face.
Je tuerai la pénombre et tout ceux qui sont derrière.

OUVREZ-MOI !

avril 26, 2280

Rouge.

L'odeur de l'air ventilé.
Les yeux de papa, rouges. Humides. Ses yeux fuyants.
Son sourire qui cache un secret.
Les bruits, les cris, je me bouche les oreilles.
Pourquoi tu cries maman ? Chut mon garçon, dors, coule ta tête sur cet oreiller. Maman n'a rien. Maman n'a rien. Maman n'a rien. Je n'ai plus rien.
Des bourdonnements, des frissons, la tension des muscles. Le froid qui s'immisce sous ma combinaison. Est-ce que je pleure ? Quelque chose coule sur mon visage.

Les grilles familières de notre logement, dans l'abri 99. Les décorations sobres de quelques photos de famille. Famille qui sourit, heureuse. Famille qui se chérit. Famille qui se détruit.
Papa, où tu vas le soir, quand tu crois que je dors ? Tu t'en vas et maman crie toujours.
J'ai peur pour elle, pour toi, pour moi.
Est-ce qu'elle a mal ?
Elle a l'air d'aller bien, chaque jour. Elle est heureuse, elle me dit.
Toi, pourquoi tu pleures quand tu crois que je ne regarde pas ? Je croyais qu'un homme ça ne pleurait pas.
Les grincements du lit, répétés, les cris, toujours les mêmes, étouffés, mais toujours audible.

Ce soir tu rentres, et je n'ai toujours pas fermé l'oeil. Mais tu ne me vois pas. Tu entres dans la chambre de maman, avec cette hache à la main.
Papa, tu fais quoi ?
Les bruits dans la chambre s'arrêtent quand tu entres. Tu fais quoi papa ? J'ai peur. Tes yeux sont des tombes pourpres qui ne me voient pas.
Les cris reprennent, ceux de maman puis d'un monsieur. La chambre rouge. Mes yeux sont blancs, mais tout est rouge. La hache rouge est sur le sol rouge. Maman et le monsieur sont nus, ils sont rouges, ils se sont tus, plus rien ne bouge.
Toi non plus. Tu restes immobile.
Un nouveau cri. La hache dans ma main, ton regard rouge, lourd, éteint.
Ma bouche grande ouverte, le son de ma voix, et toi tu ne fais pas un geste. Tu restes là. A mourir sous ma main, à éclabousser de rouge le déjà rouge des murs.
Papa, maman, aide-moi. J'ai peur, j'ai mal, je te hais, je te découpe.
Pourquoi tu pleures ?
Rouge.

Les cendres tièdes sont un présage III

Les légionnaires s'approchent de moi, en s'écartant légèrement les uns des autres, prenant petit à petit un avantage tactique. Lorsqu'ils seront à quelques mètres, ils m'encercleront à demi, m'empêchant de les avoir en trajectoire directe. Et j'hésite toujours sur la marche à suivre.
Ma main est résolument posée sur la crosse de mon colt, et je recule de quelques pas, sans leur tourner le dos. Ce serait signer mon arrêt de mort.

Un rictus sinistre se dessine sur la bouche de leur centurion, ou peu importe comment il s'appelle. Il doit pas avoir l'intention de me tenir la chandelle celui-là.

Je continue à marcher à reculons, sans me presser et sors mon arme. Je tire sans prendre la peine de viser, à la tête du soldat à ma gauche. Son visage explose comme un fruit trop mûr, éclaboussant de cervelle son acolyte le plus proche.
Ce dernier, surpris par ce qui vient d'arriver à son camarade, se fige une seconde. Il ne m'en faut pas plus pour lui loger deux balles dans le buffet, et qu'il vole au sol, la cage thoracique presque ouverte. J'ai pas fait gaffe, mais les munitions que m'a refilé Meyers doivent être artisanales. Il a dû cisailler la tête des balles pour qu'elles s'ouvrent à l'impact.
Contre du métal, c'est pipeau et trémolo. Mais sur du cuir ou de la chair, c'est une boucherie.

Les trois légionnaires restant s'élancent vers moi, leur machette brandie. 
Les deux chiens de guerre se jettent vers ma gorge en même temps alors que le soldat le plus proche fait un large mouvement du bras pour me faucher de son arme. 
D'une impulsion de mes pieds, je me propulse en arrière pour esquiver l'acier et les crocs. Je tire mes deux balles restantes, encore suspendu dans mon saut, sur la gueule d'un clébard. Puis mon dos accuse le choc de l'atterrissage au sol, m'écorchant la peau malgré la tunique de cuir.

L'autre molosse attaque à nouveau, alors que je suis au sol, et sans munition. Je protège ma gorge en levant le bras gauche, qu'il saisit de toute ses forces, refermant sa gueule dessus, comme un piège implacable. 
Le légionnaire en profite pour lever sa machette au dessus de sa tête, s'apprêtant à l'abattre sur moi de toutes ses forces, alors que je suis secoué par ce foutu bâtard.
Mais je n'ai pas l'intention de me laisser charcuter de la sorte. Le chien est tombé sur la protection rembourrée de mon armure, et n'a pas encore atteint les chairs... pas encore. Je peux le laisser faire mumuse avec, le temps de gérer l'autre enfoiré avec son coutelas. 
Il se tient juste à côté de moi. Je glisse fermement mon pied droit derrière le jarret de sa jambe gauche, et de mon autre pied donne un violent coup de talon frontal sur le genou.
La rotule craque et se plie dans le mauvais sens, foudroyant le légionnaire d'une vive douleur, et s'écrase enfin au sol en lâchant son arme. 
Je commence à hurler maintenant, de rage. Et aussi parce que la situation sent vraiment mauvais pour ma gueule. Je sens les crocs du chien de guerre traverser la tunique et mordre profondément mon avant-bras. A mon hurlement se joint désormais la douleur. 

De ma main droite je donne de violents coups de crosse de mon revolver sur la tête de cette bête enragée. Elle jappe sous les coups mais ne lâche pas. Cependant moi non plus. Je finis par lui faire sauter un œil de l'orbite, et lui fracasser le crâne.
Puis je me prend un coup de botte d'une rare violence dans la tête, et je sombre sans demander mon reste dans l'inconscience.

Les cendres tièdes sont un présage II




J'avance prudemment. L'air charrie jusqu'à moi une odeur de carne brûlée.
A l'exception du crépitement des flammes et des rafales de vents venant du désert, je n'entends pas un bruit. C'est comme si la ville était déserte... ou fantôme. Je longe les murs de quelques bâtisses épargnées par le feu, et je m'arrête devant chaque porte pour y coller mon oreille. 
Rien.
Pas un son. Pas âme qui vive. La Légion à sûrement tué tout le monde... ou les a réduit en esclavage.

César est un fanatique qui s'est mis en tête de réunir des clans autour de sa bannière. Dans sa soif de conquête et de pouvoir, il s'est lancé dans une vaste campagne de domination des Terres Dévastées. A son arrivée dans les terres du Mojave, la RNC s'est heurtée à la domination que la Légion avait assise dans la région. Mais les enjeux étaient trop importants : Le barrage Hoover était toujours debout après les ravages de la Grande Guerre, et son contrôle était d'une importance capitale.  La formidable quantité d'énergie qu'il pouvait produire était la source d'une convoitise évidente.
César, à la tête d'une cinquantaine de clans dont il avait pris le contrôle, par conviction ou par la force, comptait un nombre de soldats bien supérieur aux troupes de la République de Nouvelle Californie. Mais son armement archaïque, ne faisait pas le poids devant les armes à feu ou les armes à énergie dont disposait la RNC. 
Un violent affrontement s'engagea alors entre les deux factions sur le barrage. La RNC finit par déloger la Légion, au prix de nombreuses pertes. Mais César n'avait pas dit son dernier mot.
Fort de plusieurs centaines de guerriers, il harcelait constamment les positions des soldats de la République, à l'affût de la moindre faille dans leur système de défense.
Jusqu'ici, la RNC avait tenu bon. 
Mais les officiers républicains ne se faisaient pas d'illusions. Sans l'aide prochaine de renforts conséquents et d'approvisionnement en matériel, ils finiraient avec le scalp au bout d'une pique.
César était un chef de guerre rusé et impitoyable. Il arriverait à ses fins tôt ou tard.

Je n'ai jamais soutenu l'une ou l'autre des deux parties. Pour tout dire, je me contrefous de ce barrage ou de leurs idéaux respectifs. Tant qu'ils ne me font pas chier personnellement, je ne me met pas dans leurs pattes, et ça me convient très bien comme ça.

Je me faufile dans la ville en tâchant de ne pas faire de bruit, profitant des ombres qu'offrent les maisons pour que mes mouvements soient moins facilement repérables. A mesure que j'avance je distingue le spectacle barbare de plusieurs têtes plantées sur une lance, émergeant du sol.
Voilà donc ce qui est arrivé à la population de Nipton. 
J'imagine sans peine que ceux qui eurent la tête tranchée furent les plus chanceux d'entre tous. Au moins, leur mort à été rapide.

J'arrive au niveau de l'artère principale, et j'ai droit à la suite de l'histoire en image :
Plusieurs crucifix en bois on été érigés le long de l'allée. Des hommes et des femmes agonisants y sont cloués, le visage tordus dans une expression de douleur indescriptible. Certains sont morts, et quelques corbeaux font festin de leurs yeux, perchés sur une épaule de chair morte. Oubliant toute prudence, je m'avance vers eux, frappé par ces icônes de cruauté. Un peu plus loin, j'en vois un autre qui a été immolé vivant. Son cadavre calciné encore debout et ligoté au large poteau de bois.
Très vite je m'aperçois de mon erreur. 
Devant moi, au fond de l'allée, gardant l'entrée d'un large bâtiment qui doit faire office de mairie ou d'école, plusieurs légionnaires armés me scrutent. Deux chiens de guerre dressés sont avec eux, et je les entend d'ici grogner dans ma direction.

Cinq guerriers formés au combat rapproché, et deux molosses. 
J'hésite. 

Si j'entame les hostilités, il n'y aura pas de retour à la négociation envisageable. Ce sera un combat à mort. Et je risque bien d'y laisser ma peau. 
Cependant, si jamais l'envie leur prend de s'amuser avec moi comme ils l'ont fait avec les habitants de Nipton, je n'ai pas intérêt à leur laisser l'initiative du combat.

Putain de merde.

Les cendres tièdes sont un présage

J'ai quitté Primm, après avoir remercié Meyers, et lui avoir donné une accolade en guise de bonne chance. Il m'a fourni un peu de bouffe et quelques bouteilles d'eau, ainsi qu'une flasque de whisky pour le trajet. J'ai aussi pu me réapprovisionner en munitions. Je dispose d'une boite pleines de balles pour mon magnum désormais, ce qui va me permettre de voyager en m'inquiétant moins de rationner les pruneaux que je distribuerai durant mon périple. C'est un détail qui compte.

Je suis parti au petit matin, peu de temps avant l'aube. J'ai décidé de couper au sud-est plutôt que de suivre la route. Ça devrait me permettre de gagner une journée de marche sur ma proie, et d'arriver à Nipton en fin de journée avant le coucher du soleil... si je ne fais pas de mauvaise rencontre dans le désert.



Chemin faisant, je m'arrête régulièrement en me mettant à couvert pour scruter l'horizon autour de moi. A la recherche de mouvement ou de formes hostiles. Il me faut être plus prudent désormais, bien que le temps joue contre moi. 
Si je perd leur trace, il pourrait m'être difficile de remettre la main sur eux par la suite.

Le désert de Mojave est aride et caillouteux. De nombreux monticules rocheux sont disséminés sur son étendue, mais un semblant de végétation mutante commence à faire son apparition, rendant le paysage moins désolé, comparé aux années précédentes. Bon, c'est une végétation brûlée par le soleil, les radiations et les rafales de vent, mais une végétation quand même.
En milieu de journée, je croise un troupeau de grandes cornes. Sorte de lointains cousins de la brahmine, mais n'ayant qu'une seule tête. Plus sauvage, aussi. Je les contourne sur quelques dizaines de mètres pour éviter de mettre un mâle en colère. Ils ne sont pas spécialement agressifs, mais s'ils se sentent menacés, les mâles dominants ont tendances à charger pour protéger leur troupeau.

Le temps passe, et ma prudence paye largement compensation de mes efforts. J'arrive en vue de Nipton, mais quelque chose cloche. 
De là ou je suis, je distingue très nettement de larges nuages de fumée noire, s'élevant au-dessus de la ville. Ça ne présage rien de bon. Cette fumée là, n'a rien à voir avec des garde-fous allumés en prévision de la nuit.
La ville a été mise à feu.

Je m'approche discrètement de l'entrée de Nipton et recharge le barillet de mon revolver. C'est très net. Quelqu'un est venu ici et à mit la ville à sac, il y a très peu de temps.
L'auteur de cet acte m'apparaît très vite clairement.
Un drapeau pourpre flotte au vent, arborant un taureau doré.
L'étendard de la Légion de César.

avril 25, 2280

La marche poussière III


_ "Snake ? C'est toi mon vieux ?"
Je dirige mon regard vers la ruine à l'entrée de la ville, d'où la voix provient.
"Ici !"
Le type qui m'interpelle est en planque à l'étage, dont les murs sont partiellement tombés. Probablement en quart de garde pour protéger l'entrée. Son visage et le bout de canon d'un fusil dépasse d'un interstice en grès. 
_ "Nom de dieu... Meyers. Qu'est ce que tu fous dans ce trou paumé ?"
M'adressant un sourire de toutes ses dents, il me fait signe d'attendre, d'un geste de la main, et descend à ma rencontre.

_ "Combien de temps ça fait ? Trois ans, au moins ? Bin t'as pas changé, merde."
_ "Toi par contre, t'as presque l'air d'un homme maintenant."
Il se marre à moitié et me donne une tape sur l'épaule.
_"Oh, ta gueule le décoloré."
Je discerne une étoile de shérif, épinglée sur le revers de sa veste. 
_ "Alors t'as remis ça ? Encore au service de la veuve et de l'orphelin ? Je suppose que c'est le seul moyen que t'as trouvé pour te lever autre chose qu'une goule en rut."
_ "Et ouais. Faut bien que quelqu'un se coltine le sale boulot. Mais je me plains pas, j'ai connu des taudis pire qu'ici, pour faire régner l'ordre. J'ai même un adjoint. Un peigne-cul à moitié véreux, mais il est plutôt adroit avec un flingue. Vient, je te le présente."
_ "Sans façon Meyers."
_ "Fais pas chier, bouge ton cul."
Je fais la moue, et le suis vers un bidon de tôle où brûle un feu d'éclairage. A côté, un type avec de longs cheveux gras s'y réchauffe les mains. La chaleur du désert à beau être écrasante en journée, les nuits restent particulièrement fraîches en cette période de l'année.

_ "Beagles, j'te présente un vieil ami, Snake."
Je lui esquisse un signe de la tête plutôt bref, alors qu'il me tend sa main. J'ignore le geste. Je ne serre jamais de main d'inconnus.
Il finit par laisser pendre la sienne le long du corps.
_ "Bienvenue quand même. Vous faites quoi dans les parages ?"
_ "Je cherche quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. On m'a dit qu'il avait pu passer par ici, récemment."
_ "Dit toujours, à quoi ressemblait cette personne ?" m'apostrophe Meyers.
_ "Un type avec des cheveux gominés, un costard à carreaux. Il avait une bande de chiens Khans avec lui, aux dernières nouvelles."
_ "Ouais, ils sont passés ici, ya trois jours. Les Khans sont repartis aussitôt, en direction du sud. L'autre type à poussé vers l'est, après avoir passé la nuit ici."
_ "T'es sûr de toi, Meyers ?"
_ "Je l'ai pas vu partir de mes yeux, c'est Beagles qui était de quart, ce matin là."

Meyers jette un oeil à son adjoint, tout comme moi. Beagles me scrute sans rien dire. Après quelques instants de silence, il répond :
_ "Ouais, pour sûr. Vers l'est. C'est ça."
Ce type ment. Je le sais. J'ai toujours su quand on me mentait, en me regardant les yeux.
_ "Il vous a donné sa destination, ou l'objet de son voyage ?" 
_ "Nope. J'en ai rien à carrer, de toute façon. Tant qu'il se tenait tranquille pendant son séjour ici, il peut bien crever dans le désert."
_ "Et les Grands Khans, une idée d'où ils auraient pu diriger leurs pas ?"
Meyers me répond :
_ "D'ici, la prochaine étape au sud c'est le croisement de l'A91 et de la route 63. Y'a le poste avancé de la RNC, juste après. A l'est du croisement, ya Nipton, sinon. Ils allaient sans doute par là. Je vois pas vraiment les Khans aller chatouiller une garnison de soldats. Surtout que la RNC est sur les dents depuis que les incursions de la légion de César se fait plus pressante."
_ "Où je peux loger pour la nuit, Meyers ?"
_ "Chez moi, si tu veux, j'ai un matelas en rab', dans un coin de ma bicoque."
J'acquiesce silencieusement en reportant les yeux sur l'adjoint de Primm. Il s'allume une cigarette et évite mon regard.
_ "Je vais me coucher, je suis de quart tôt demain matin. Ma suite résidentielle est juste là. Essaye de pas faire trop de boucan en arrivant."

Meyers nous adresse un signe de salut, en portant la main à son stetson, puis part en direction de l'abri en tôle rouillée.
Je reste près du baril en feu, face à Beagles. Le silence s'installe entre nous, mais je sens ses yeux sur moi. 
Après un moment sans bouger, je lui pose à nouveau ma question.
_ "Vers où est parti le type en costume ?"
Beagles garde le silence et m'observe d'un air amusé.
_ "Je te l'ai dit tout à l'heure... tu serais pas un peu dur de la feuille, toi ?"
_ "Me prend pas pour un con. Il t'as graissé la patte pour que tu brouilles les pistes ? C'était quoi le deal ? Une poignée de capsule ? Ou t'as peut-être juste chié dans ton froc après avoir été menacé de finir en déjeuner pour radscorpion ?"
_ "Baisse d'un ton, le nouveau, ou je te met au mitard pour la nuit"
_"Beagles !" Meyers approche. Beagles et moi jetons un oeil vers lui, alors qu'il revient dans notre direction.
"C'est quoi cette histoire de coffrer mon ami ?"
_ "Il me casse les couilles, Meyers. Il m'accuse de mentir au sujet du type de l'autre jour. De toute façon, j'en ai rien à glander. Qu'il soit ton pote ou pas, qu'il aille se faire foutre."
L'adjoint accompagne ses paroles en frappant de sa main l'intérieur de son autre bras, le poing levé.
Meyers se fige et se masse le front, comprenant que les choses s'enveniment.
Je m'apprête à faire le tour du baril pour saisir ce con, mais il a la stupidité de dégainer son arme.

Je l'imite aussitôt, et malheureusement pour lui, je suis nettement plus rapide à ce petit jeu là. Plongeant dans sa direction, je lui loge une balle dans la hanche avant même qu'il n'ai pu ouvrir le feu. L'impact à bout portant le projette au sol violemment, alors que je me rétablis en roulant sur le côté, avant de poser un genou au sol, l'arme toujours braquée sur lui.
_ "Putain !" Meyers pose une main sur la crosse de son arme, mais un rapide coup d'œil dans sa direction le dissuade de terminer son geste. Il sait que je n'hésiterai pas. Et il me connaît suffisamment pour ne pas avoir envie d'essayer.
L'autre raclure gémit au sol, la main sur le sang poisseux de sa blessure.
Je me remet debout, et m'approche de lui, toujours l'arme au poing. D'un coup de pied, j'écarte son pistolet qui gît non loin.

_ "Qu'est ce que t'en dis ? Je t'éclate une rotule ou la mémoire te revient ?"
_ "Aaah ! Pauvre cinglé !"
Le canon de mon .357 se pose sur son genou
_ "Attend merde !"
J'arme le chien du revolver.
_ "Le type est parti au sud aussi, rejoindre les Khans. Ils allaient bien à Nipton, mais je sais pas pourquoi, je le jure ! Il m'a donné 100 capsules pour que j'embrouille quiconque pourrait demander après lui"
_ "100 capsules hein ? Sale con, t'es vraiment un adjoint de merde Beagles. Je devrais laisser Snake t'égorger comme un porc. J'ai jamais pu blairer les salopes dans ton genre." 
Je rengaine mon arme alors que Meyers donne un coup de pied dans les côtes de son adjoint, lui arrachant un autre râle de douleur.
_ "J'ai ce que je voulais. Je vais me pieuter. Fais ce que tu veux de lui, mais fais en sorte que je ne le recroise pas avant mon départ."
_ "Aucun risque." marmonne le shérif, les dents serrées.

Je me dirige à pas tranquille vers l'abri nimbé de la pénombre nocturne. 
Derrière moi, un coup de feu retentit. Je ne me retourne pas. Je connais les méthodes de Meyers pour faire appliquer "l'ordre". Il a jamais aimé qu'on le prenne pour un lapin de six semaines.

La marche poussière II

Je fais un tour d'horizon rapide.
Le môme n'avait pas grand chose sur lui. Un peu de ferraille, un couteau ébréché, et un stimpack vide. 

En faisant le tour de la caravane, je m'aperçois que je ne suis pas le seul que ce chiard ai canardé pour détrousser quelques capsules ou se procurer un fix. Le cadavre d'un garde de la Crimson gît à l'intérieur de la vieille carlingue usée. Je lui fais les poches, mais évidemment, elles sont déjà vides.
Le pauvre type s'est retrouvé criblé de coups de poignards.
Pourtant, aucune trace d'un corps de marchand itinérant ou d'une brahmine de convoi. J'imagine que le garde s'est fait saigner, mais seulement après avoir donné le temps au reste du convoi de la Crimson Caravan de filer au pas de course.

Le soleil commence déjà à descendre vers l'ouest. Je ferai bien de me remettre en route si je veux arriver à Primm avant la nuit.
Dans l'obscurité du soir, les routes sont encore moins sûres que la journée, malgré le couvert de la pénombre. Certaines créatures rôdent dans le désert à la faveur de la lune, et je n'ai aucune envie de me trouver nez à nez avec une bestiole dont les mâchoires broieraient mes os sans peine.
C'est déjà bien assez le merdier comme ça en plein jour.

Je reprend la route, en hâtant le pas. Je ne compte plus faire de halte avant d'arriver à destination. Sous couvert de ma main pour voiler l'éclat du soleil, mes yeux scrutent inlassablement l'horizon, en quête d'une silhouette ou de quelque chose qui bougerait devant moi. Je me suis assez fait canardé pour aujourd'hui, et je ne compte pas me faire avoir par surprise une deuxième fois.

Je ne sais pas vraiment ce que je vais trouver à Primm. Il est fort possible que l'inconnu au costume et ses acolytes n'y aient même pas fait d'arrêt. Mais je préfère en avoir le cœur net, et m'assurer de ne pas perdre leur piste. Mes employeurs du Mojave Express seraient foutus de me coller des chasseurs de prime au cul, si ce jeton de casino n'est pas livré à l'endroit prévu. Et j'ai déjà assez d'emmerdes comme ça. Merci.

Le ciel vire au pourpre, et les nuages s'étiolent à la faveur de rafales de vent qui se font plus fortes. Mon visage est agressé par le sable et la poussière charriés par les courants d'air.
Parfois, je sens
dans les extrémités de mes mains et mes jambes, le picotement agaçant et caractéristique d'une zone nettement plus irradiée. Je ne veux pas perdre de temps à faire de détour cependant, et accélère le pas, en traversant ces passages hautement radioactifs.

Mon corps a déjà été altéré dans le passé, par ces émanations. Vestiges mortels d'une guerre lointaine et dont les dégâts furent sans précédant.
Enfant, ma pilosité à perdu sa couleur et est devenue d'un blanc laiteux, tout comme mes pupilles. La mélanine à complètement disparue de mes yeux autrefois bruns, et j'ai perdu par la même occasion mon acuité visuelle en plein jour.
Étrangement, elle s'amplifie à la faveur de la nuit, lorsqu'un éclairage faible est présent, comme la lune ou les étoiles. Cette nyctalopie n'a évidemment aucun effet dans le noir total. C'est con d'ailleurs. Ça aurait pu être pratique.

La nuit est désormais tombée, mais j'aperçois enfin les lumières de Primm et les courbes fantomatiques de ses montagnes russes délabrées. 
Je me dirige résolument vers cet endroit habité, ma soif de vengeance grandissant au creux du ventre.

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La marche poussière

L'école de Goodspring est un grand bâtiment dont la façade est rougeâtre. Ce taudis est une vraie ruine dont les issues ont été condamnées. Mais je remarque que les planches de bois qui maintenaient les portes fermées, ont été déclouées, et gisent au sol.

J'avance lentement vers l'entrée et garde la main sur la crosse de mon arme. Sait-on jamais.
Poussant la porte entrouverte, les rayons du soleil dans mon dos me précèdent, sur le vestibule. Ils font danser la poussière devant mes yeux, comme autant de particules dorées. Les semelles métalliques de mes bottes claquent sur le bois de la bâtisse. Je n'ai jamais été très doué pour les entrées discrètes.
Mais en fait, je m'en suis toujours foutu royalement.

Passé l'entrée, j'arrive dans une vaste salle plongée dans une semi-pénombre. Des écritoires rouillées et à moitié détruits jonchent le sol, au milieu de la pièce. Parmi ces bazars de bois et de métal, des livres calcinés sont répandus eux-aussi par terre.
Il n'y a plus personne ici.



Mais il y a dans un coin, de vieux matelas abandonnés. Dans un autre, un gros sac en toile, fermé par une corde épaisse. Une tâche brunâtre en dessous.
Je m'approche et craque une allumette. Pas de doute, c'est une tâche de sang. Je dénoue la corde qui ferme le sac, et l'ouvre.
Une odeur pestilentielle m'emplit les narines et la gorge et me fait basculer en arrière. L'odeur de la putréfaction. Je la connais suffisamment pour la reconnaître d'emblée. Remontant mon bras devant ma bouche et le nez pour me protéger de la puanteur, je lève l'ouverture du sac de l'autre main, et jette un œil à l'intérieur.
La tête en décomposition d'un type repose dedans. Je laisse le sac et m'en écarte pour reprendre ma respiration.

Il n'y a rien ici qui vaille mon attention en particulier. Cette tête abandonnée est simplement le signe de la cruauté du groupe que je poursuis. Mais quoi qu'il en soit, je n'ai pas l'intention de terminer une nouvelle fois enseveli six pieds sous terre.
Je quitte l'ombre de la bâtisse pour retrouver la suffocante chaleur du désert de Mojave. Et je me met en marche vers le sud.
J'aperçois au loin le miroitement du bitume défoncé d'une route, et j'y dirige mes pas, ne laissant qu'un sillon de poussière derrière moi, vite balayé par le vent chaud du jour.

Un peu plus loin, alors que mes pieds ont fini par atterrir sur l'asphalte de l'A 91, j'aperçois un groupe de Geckos, à l'ombre de rochers, à l'ouest de ma position.
Je quitte la route pour me mettre à couvert de monticules qui serpentent le long de la route.
Les Geckos sont suffisamment dangereux lorsqu'ils sont en nombre pour que je souhaite éviter une confrontation. Ces lézards à forme vaguement humanoïde courent plus vite que moi, et je tiens à économiser mes munitions contre d'éventuelles rencontres avec des Raiders qui pourraient sillonner la région.
J'avance accroupi et jette régulièrement un oeil en direction des lézards mutants pour voir si ils m'auraient repérés. Je fini par mettre suffisamment de distance, pour reprendre mon chemin sur la route.

Au bout d'une heure sous le soleil brûlant, je m'arrête un instant pour boire un peu d'eau. De la sueur coule sur mes tempes, que j'essuie d'un revers de la main.
Une détonation retentit et un sifflement passe près de mes oreilles.
Je me jette au sol, fait un roulé-boulé sur le côté et dégaine mon arme pour faire face à la menace, en restant prudemment accroupi. D'autres coups de feu retentissent et je finis par voir la flamme du canon, un peu plus loin, près d'une caravane abandonnée sur le bord de la route.
Je tire deux fois et me met à courir dans la direction de l'agresseur. A cette distance, s'il dispose d'un fusil, je n'ai aucune chance avec mon revolver. J'effectue une série de zigzag, en tassant les épaules pendant ma course.
Le tireur est obligé de sortir de son couvert pour me viser plus correctement, et je réplique en plein sprint par deux autres balles dans sa direction, pour l'empêcher de m'aligner dans son viseur.
Je suis désormais à une distance suffisante pour que mes coups de feu lui soient fatals. Il dispose d'une carabine à culasse, ce qui l'empêche d'avoir une cadence de tir rapide.
Je profite qu'il se mette à réarmer pour m'affaler au sol, à une quinzaine de mètres de lui, et le viser. Il remarque ma manœuvre et plonge sur le côté pour éviter mon tir. Merde ! je l'ai manqué.
Il me reste une balle dans le barillet.
Je me relève et fonce pour me mettre à couvert de la caravane, du côté opposé de son couvert. Son tir me manque de nouveau, et je suis désormais hors de sa ligne de mire.
C'est un piètre tireur en fait. Trop survolté, pas assez précis. Il manque de patience.

Je lance un regard prudent derrière mon abri de tôle, et il me tire dessus à nouveau. Sauf que cette fois, rien ne sors de son canon. Il est à court de munitions.
Je sors de mon abri et marche tranquillement vers lui, en levant mon arme. Ses yeux fous laissent percevoir sa panique, et son incrédulité. A ce regard et ce sourire niais crispé, je me dis que c'est sûrement un accro au Jet, ou aux Rad-X. 
Il s'élance vers moi en levant la crosse de son fusil alors que j'appuie sur la détente.
Le coup le fauche à la gorge et le propulse en arrière.


C'était un gamin d'à peine 16 ans, à priori. L'arrière de son crâne a été emporté par le coup.
_"Désolé, petit. Tu seras peut-être mieux loti dans l'autre monde."

Un matin à Goodspring III

Je referme la porte derrière moi. 

J'entends simplement le bruit de vieux volets grinçants qui battent sous les rafales de vent, et le grésillement d'un vieux poste radio. Je reconnais instinctivement la voix du speaker, qui m'indique que c'est radio New Vegas. C'est pas bien dur à deviner, de toute façon. Ya que deux fréquences qu'on capte par ici, et l'autre est une émission musicale qui passe les tubes du moment.
"... de suite les nouvelles fraîches ! Suite à d'importantes coupures de courant dans la région, un de nos reporters est allé se renseigner sur la distribution d'énergie à la centrale Helios One, qui complète les besoins des habitants pendant la réhabilitation du barrage de Hoover, sur le Colorado. 
Les soldats de la RNC en stationnement dans la centrale n'ont pas souhaités faire de commentaire, mais un ingénieur de la Confrérie de l'Apocalypse a été assez aimable pour nous renseigner sur..."

_ "Qu'est ce que j'vous sers ?"
Une femme d'une quarantaine d'années me toise, derrière le comptoir, en essuyant ses gobelets de cuivre avec un torchon.
_ "Vous me proposez quoi ?"
_ "Bière, Scotch, Vodka, Nuka-Cola, un peu d'eau de puit".
_ "Votre flotte est irradiée ?"
_ "Ouais, mais le goût indique que ça reste acceptable. Je vous fait le verre pour 13 capsules".
Je reste silencieux un moment.
 "... et il semblerait que la centrale ne fournisse qu'un 1% de ses capacités effectives ! Espérons que cette bonne vieille République de Nouvelle Californie trouvera un moyen de pousser un peu le jus ! Sans plus attendre, voici un morceau qui..."

_"Servez-moi votre scotch et quelques renseignements".
Je dépose une poignée de capsules sur le bar, en m'asseyant sur un tabouret, en face de la femme. Il doit y avoir à peu près 30 caps.
_ "Vous seriez pas le type que Victor à déterré l'autre nuit, par hasard ?"
_ "Y parait, ouais. Écoutez, j'ai pas l'intention de m'attarder en ville. Le doc' m'a remis d'aplomb, et je veux juste savoir qui sont les types qui m'ont abattus. Et où ils allaient."
_ "J'en sais trop rien, ils ont pas mis les pieds au Prospector. Mais peut-être que Sunny saura vous dire quelque chose. Je sais qu'elle à échangé quelques mots avec eux, la veille de votre accident. Elle est dans la salle de billard, avec son clebs."

Je grimace. J'ai filé à cette poulette toutes mes capsules. Si je veux payer mes infos, faudra que je trouve un autre moyen, la prochaine fois.
J'incline la tête en guise de remerciement, et me lève de mon tabouret. J'avale d'un trait la rasade de scotch qui me brûle l'oesophage et l'estomac. Putain, ça fait du bien. J'allume une cigarette et me dirige tranquillement vers la salle de jeux du Prospector.

_ "C'est toi Sunny ?"
Une petite femme rousse en armure de cuir me tourne le dos. Elle porte un fusil de chasse en bandoulière, et boit silencieusement un soda, en regardant la lumière filtrer à travers les planches de bois qui scellent les fenêtre du bar.
_ "Qu'est ce que ça peut te foutre ? Tu lui veux quoi à Sunny ?"
Celle là va sûrement rapidement me faire chier. Je décide de prendre le raccourci le plus efficace que je connaisse.
Je pointe le canon de mon colt sur l'arrière de son crâne et arme le chien du révolver. 
Elle se fige et lève lentement les main.
_ "Discuter, c'est tout. Qu'est ce que tu sais des Grands Khans et du type qui les accompagnaient ?"
Sunny reste figée, mais sa langue se délie plus volontiers.
_ "Pas grand chose. Quand ils sont arrivés, je suis allée les trouver. Je leur ai dit qu'on voulait pas d'emmerde à Goodspring, et que si ils cherchaient des noises, qu'ils veuillent bien foutre le camp plus loin. 
Le type en costume bizarre m'a dit qu'il attendaient simplement un ami, et qu'ils s'installeraient un jour ou deux dans les ruines de l'école, en attendant."
_ "Tu sais dans quelle direction ils sont allés, après avoir quittés la ville ?"
_ "Ouep. Mais je vois pas ce que ça me rapporte de te le dire. File-moi quelques capsules, et la mémoire me reviendra peut-être"
_ "Ce que ça te rapporte ? La vie sauve."
A toi de voir.
J'appuie un peu plus le canon du revolver sur le haut de son crâne et m'apprête à tirer. J'aime pas qu'on me prenne pour un con, et je suis passablement irritable en ce moment.
_ "Pour c'que j'en sais, ils sont partis en direction de l'A 91, au sud. Peut-être qu'ils sont allés à Primm, j'en sais rien".
Je range mon arme dans le holster.
_ "Merci, t'es vraiment très serviable."
_ "Ca, c'est clair..."


Seul le bruit de mes bottes m'accompagne à la sortie du Prospector.
Je compte aller jeter un oeil à cette école, puis je mettrai les voiles. J'ai déjà perdu bien assez de temps.