avril 25, 2280

La marche poussière III


_ "Snake ? C'est toi mon vieux ?"
Je dirige mon regard vers la ruine à l'entrée de la ville, d'où la voix provient.
"Ici !"
Le type qui m'interpelle est en planque à l'étage, dont les murs sont partiellement tombés. Probablement en quart de garde pour protéger l'entrée. Son visage et le bout de canon d'un fusil dépasse d'un interstice en grès. 
_ "Nom de dieu... Meyers. Qu'est ce que tu fous dans ce trou paumé ?"
M'adressant un sourire de toutes ses dents, il me fait signe d'attendre, d'un geste de la main, et descend à ma rencontre.

_ "Combien de temps ça fait ? Trois ans, au moins ? Bin t'as pas changé, merde."
_ "Toi par contre, t'as presque l'air d'un homme maintenant."
Il se marre à moitié et me donne une tape sur l'épaule.
_"Oh, ta gueule le décoloré."
Je discerne une étoile de shérif, épinglée sur le revers de sa veste. 
_ "Alors t'as remis ça ? Encore au service de la veuve et de l'orphelin ? Je suppose que c'est le seul moyen que t'as trouvé pour te lever autre chose qu'une goule en rut."
_ "Et ouais. Faut bien que quelqu'un se coltine le sale boulot. Mais je me plains pas, j'ai connu des taudis pire qu'ici, pour faire régner l'ordre. J'ai même un adjoint. Un peigne-cul à moitié véreux, mais il est plutôt adroit avec un flingue. Vient, je te le présente."
_ "Sans façon Meyers."
_ "Fais pas chier, bouge ton cul."
Je fais la moue, et le suis vers un bidon de tôle où brûle un feu d'éclairage. A côté, un type avec de longs cheveux gras s'y réchauffe les mains. La chaleur du désert à beau être écrasante en journée, les nuits restent particulièrement fraîches en cette période de l'année.

_ "Beagles, j'te présente un vieil ami, Snake."
Je lui esquisse un signe de la tête plutôt bref, alors qu'il me tend sa main. J'ignore le geste. Je ne serre jamais de main d'inconnus.
Il finit par laisser pendre la sienne le long du corps.
_ "Bienvenue quand même. Vous faites quoi dans les parages ?"
_ "Je cherche quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. On m'a dit qu'il avait pu passer par ici, récemment."
_ "Dit toujours, à quoi ressemblait cette personne ?" m'apostrophe Meyers.
_ "Un type avec des cheveux gominés, un costard à carreaux. Il avait une bande de chiens Khans avec lui, aux dernières nouvelles."
_ "Ouais, ils sont passés ici, ya trois jours. Les Khans sont repartis aussitôt, en direction du sud. L'autre type à poussé vers l'est, après avoir passé la nuit ici."
_ "T'es sûr de toi, Meyers ?"
_ "Je l'ai pas vu partir de mes yeux, c'est Beagles qui était de quart, ce matin là."

Meyers jette un oeil à son adjoint, tout comme moi. Beagles me scrute sans rien dire. Après quelques instants de silence, il répond :
_ "Ouais, pour sûr. Vers l'est. C'est ça."
Ce type ment. Je le sais. J'ai toujours su quand on me mentait, en me regardant les yeux.
_ "Il vous a donné sa destination, ou l'objet de son voyage ?" 
_ "Nope. J'en ai rien à carrer, de toute façon. Tant qu'il se tenait tranquille pendant son séjour ici, il peut bien crever dans le désert."
_ "Et les Grands Khans, une idée d'où ils auraient pu diriger leurs pas ?"
Meyers me répond :
_ "D'ici, la prochaine étape au sud c'est le croisement de l'A91 et de la route 63. Y'a le poste avancé de la RNC, juste après. A l'est du croisement, ya Nipton, sinon. Ils allaient sans doute par là. Je vois pas vraiment les Khans aller chatouiller une garnison de soldats. Surtout que la RNC est sur les dents depuis que les incursions de la légion de César se fait plus pressante."
_ "Où je peux loger pour la nuit, Meyers ?"
_ "Chez moi, si tu veux, j'ai un matelas en rab', dans un coin de ma bicoque."
J'acquiesce silencieusement en reportant les yeux sur l'adjoint de Primm. Il s'allume une cigarette et évite mon regard.
_ "Je vais me coucher, je suis de quart tôt demain matin. Ma suite résidentielle est juste là. Essaye de pas faire trop de boucan en arrivant."

Meyers nous adresse un signe de salut, en portant la main à son stetson, puis part en direction de l'abri en tôle rouillée.
Je reste près du baril en feu, face à Beagles. Le silence s'installe entre nous, mais je sens ses yeux sur moi. 
Après un moment sans bouger, je lui pose à nouveau ma question.
_ "Vers où est parti le type en costume ?"
Beagles garde le silence et m'observe d'un air amusé.
_ "Je te l'ai dit tout à l'heure... tu serais pas un peu dur de la feuille, toi ?"
_ "Me prend pas pour un con. Il t'as graissé la patte pour que tu brouilles les pistes ? C'était quoi le deal ? Une poignée de capsule ? Ou t'as peut-être juste chié dans ton froc après avoir été menacé de finir en déjeuner pour radscorpion ?"
_ "Baisse d'un ton, le nouveau, ou je te met au mitard pour la nuit"
_"Beagles !" Meyers approche. Beagles et moi jetons un oeil vers lui, alors qu'il revient dans notre direction.
"C'est quoi cette histoire de coffrer mon ami ?"
_ "Il me casse les couilles, Meyers. Il m'accuse de mentir au sujet du type de l'autre jour. De toute façon, j'en ai rien à glander. Qu'il soit ton pote ou pas, qu'il aille se faire foutre."
L'adjoint accompagne ses paroles en frappant de sa main l'intérieur de son autre bras, le poing levé.
Meyers se fige et se masse le front, comprenant que les choses s'enveniment.
Je m'apprête à faire le tour du baril pour saisir ce con, mais il a la stupidité de dégainer son arme.

Je l'imite aussitôt, et malheureusement pour lui, je suis nettement plus rapide à ce petit jeu là. Plongeant dans sa direction, je lui loge une balle dans la hanche avant même qu'il n'ai pu ouvrir le feu. L'impact à bout portant le projette au sol violemment, alors que je me rétablis en roulant sur le côté, avant de poser un genou au sol, l'arme toujours braquée sur lui.
_ "Putain !" Meyers pose une main sur la crosse de son arme, mais un rapide coup d'œil dans sa direction le dissuade de terminer son geste. Il sait que je n'hésiterai pas. Et il me connaît suffisamment pour ne pas avoir envie d'essayer.
L'autre raclure gémit au sol, la main sur le sang poisseux de sa blessure.
Je me remet debout, et m'approche de lui, toujours l'arme au poing. D'un coup de pied, j'écarte son pistolet qui gît non loin.

_ "Qu'est ce que t'en dis ? Je t'éclate une rotule ou la mémoire te revient ?"
_ "Aaah ! Pauvre cinglé !"
Le canon de mon .357 se pose sur son genou
_ "Attend merde !"
J'arme le chien du revolver.
_ "Le type est parti au sud aussi, rejoindre les Khans. Ils allaient bien à Nipton, mais je sais pas pourquoi, je le jure ! Il m'a donné 100 capsules pour que j'embrouille quiconque pourrait demander après lui"
_ "100 capsules hein ? Sale con, t'es vraiment un adjoint de merde Beagles. Je devrais laisser Snake t'égorger comme un porc. J'ai jamais pu blairer les salopes dans ton genre." 
Je rengaine mon arme alors que Meyers donne un coup de pied dans les côtes de son adjoint, lui arrachant un autre râle de douleur.
_ "J'ai ce que je voulais. Je vais me pieuter. Fais ce que tu veux de lui, mais fais en sorte que je ne le recroise pas avant mon départ."
_ "Aucun risque." marmonne le shérif, les dents serrées.

Je me dirige à pas tranquille vers l'abri nimbé de la pénombre nocturne. 
Derrière moi, un coup de feu retentit. Je ne me retourne pas. Je connais les méthodes de Meyers pour faire appliquer "l'ordre". Il a jamais aimé qu'on le prenne pour un lapin de six semaines.

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