avril 27, 2280

Noir

Je n'ai plus de Pipboy depuis belle lurette. Ce gadget encombrant est pourtant bien pratique. Au-delà de toutes les données topographiques, météorologiques, les taux de radiations ambiantes et même la loupiote qu'il fournit, ce truc permet aussi de vérifier en temps réel toutes les variables de santé de son possesseur.
Une petite tachycardie passagère ? Pas de problème, le Pipboy vous prévient qu'il est temps de vous injecter un calmant par intraveineuse. Vous venez de vous faire exploser le genou par un coup de fusil à pompe ?
Le Pipboy se charge de vous faire un rapport exhaustif de l'hémorragie provoquée, ainsi qu'un calcul très précis des chances de pouvoir courir un jour. Le temps de convalescence nécessaire, les produits médicaux à se procurer d'urgence et j'en passe. Il parait même que certains modèles très évolués intègrent des routines de premiers secours, capables d'injecter des doses de stimpack à son hôte, lorsque ses constantes vitales tombent sous un seuil alarmant.

Non, vraiment c'est très pratique un Pipboy. Le truc c'est qu'on ne m'a jamais donné le mien.
Normalement, un habitant d'un abri reçoit le sien pour son dixième anniversaire. C'est une sorte d'évènement unique et particulièrement important qui jalonne la vie d'un réfugié. Un peu comme si on te disait : "Voilà gamin. Maintenant que t'as ce gros bracelet technologique, tu peux te considérer comme un homme. Mieux, un citoyen."
Ouais. Bein non.

Je sens qu'un truc cloche. En fait je ne sens que ma tête. Et nom de dieu, qu'est-ce qu'elle me lance. La douleur me donne l'impression d'avoir la nuque frappée à répétition contre le bord d'un rail de métro. Et parfois, ya un wagon qui me roule sur la gueule. A chaque fois que ça se produit, j'ai la sensation d'exploser en mille morceaux.
J'entends de la musique. Des voix.
Des chuchotements. Ou autre chose peut-être... Je peux pas vraiment dire. Je suis pas conscient de tout ça.
D'ailleurs je suis pas conscient du tout. Et puis la douleur ne m'autorise pas à comprendre autre chose que ce simple fait : J'ai mal, putain !
Je suis sûrement en train de crever.
Je divague souvent.

D'ailleurs j'entends encore ma mère se faire baiser sur le lit conjugal, et je ferme les yeux. Je le sais parce que quand je ferme fort les yeux comme ça, tout devient rouge.
Mais là, c'est tout noir.
C'est autre chose.

Mes poings sont des amas de douleur. Le sang séché forme une gangue sur la peau qui se craquelle, et qui rouvre les plaies régulièrement, tirant dessus. Je frappe chaque jour comme un dément sur cette porte en métal. Je crie aussi.
Et ça résonne comme dans un trou très profond. Je suis aveugle.
Juste le noir le plus complet.
On ne m'ouvre jamais. Mes jambes et mes pieds sont couverts de morsures minuscules. Des rats, où des trucs comme ça. Je me venge.
Je les attrape, leur tord le cou, puis j'arrache la peau et les poils tant bien que mal. Après je les dévore comme ça. C'est pas très bon, mais c'est pas vraiment mauvais non plus. Les premières fois j'ai dû vomir. J'avais pas pris soin d'enlever consciencieusement tous les poils. Ça m'avait presque étouffé. Et l'odeur était infernale.
Je refusais de crever en fait.
Sous aucun prétexte je voulais rejoindre mes parents, là où ils étaient. Je devais sortir de là, coûte que coûte. Le monde douillet et conventionné que j'avais connu toute mon enfance s'était transformé en cauchemar. Je n'étais plus qu'un paria qu'on avait oublié au fond d'une cellule. Je n'avais plus que haine pour tous ces gens qui se donnaient des airs bien sous tout rapport. Si la vertu qu'ils prônaient ressemblait vraiment à ça, alors je préférais encore bouffer mes rats.

Putain mais OUVREZ-MOI !
Marteler le métal indifférent et froid de mon désespoir.
Écraser mes petits poings d'enfant dessus, et faire gicler le sang, comme s'il pouvait faire fléchir la porte.
Crier encore, de ma voix fluette et brisée, mais qui révèle un ventre grondant.
Et regarder de mes yeux blancs ce noir.
Face à face.
Je tuerai la pénombre et tout ceux qui sont derrière.

OUVREZ-MOI !

3 commentaires:

Brutalpolo a dit…

La vache! Claustrophobique à souhait, sombre et torturé. Le background de White Snake se dévoile, et j'aime ça!
Je ne sais pas combien de temps Snake va rester inconscient et dans quel état il va se réveiller, mais il risque de pas être content!
Je me répète, mais bon... Encore une fois, chouette boulot.
Continue comme ça, prends ton temps. L'éternité que je passe à attendre la suite de ton récit est aussi insoutenable que tes aventures sont passionnantes!

Skelders a dit…

Oo
Je viens de commencer et je trouve ça vraiment bien, c'est bien écrit, pas de faute d'orthographe ou de grammaire. C'est passionnant, c'est flippant, c'est super.
Je lirai la suite dès que possible :)

Kaël a dit…

Merci pour ta lecture et ton commentaire. Ravi d'avoir un lecteur de plus !